J'ai rencontré Lionel Meunier à propos de la sortie du dernier enregistrement de son ensemble Vox Luminis et consacré à la musique pour les funérailles royales, écrite par les compositeurs anglais du 17ème siècle.
J'avais découvert son ensemble grâce au superbe disque qu'il avait consacré aux Sacrae Cantiones de Samuel Scheidt (chez Outhere Music).
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Votre ensemble commence à connaître une belle notoriété tout à fait méritée, notamment grâce à ses deux enregistrements consacrés à la musique luthérienne du XVIème siècle (Sacrae Cantiones de Samuel Scheidt et Musicalische Exequien de Heinrich Schütz (1)). Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Lionel Meunier : Jérôme Lejeune, créateur du label Ricercar, nous a pris sous son aile très tôt. Nous ne nous étions produits que sept fois en concerts quand il nous a repéré. A l'époque, je chantais dans l'ensemble la Cappella Pratensis qui enregistrait un disque fin 2006 sur la musique polyphonique de la Renaissance chez Ricercar.
Alors que je terminais cet enregistrement, Jérôme Lejeune me contacte pour me demander si je ne connaissais pas un ensemble à lui conseiller pour un concert en 2007 autour du Stabat Mater de Scarlatti (année des 250 ans de la mort de Domenico Scarlatti) car il savait que j'écoutais beaucoup de disques de musique ancienne et que j'allais à de nombreux concerts. C'est alors que j'ai pris mon courage à deux mains et lui ai dit que je connaissais un ensemble qui n'était autre que… le mien !
Je lui précise, ce qui était vrai, que j'avais justement créé cet ensemble pour interpréter cette œuvre là ! Je lui passe alors une maquette que j'avais constituée avec notre ensemble.
Après avoir écouté notre maquette, le lendemain, Jérôme Lejeune demande à me rencontrer. J'ai appris par la suite qu'il avait contacté Michel Stockhem, créateur de Fuga Libera pour avoir son avis.
Comme convenu, nous nous rencontrons à Liège et, directement, Jérôme Lejeune m'indique que son label a été racheté par Outhere, qu'on va lui permettre d'éditer un CD par mois, qu'il lui « manque » un ensemble et il me demande si j'étais prêt à rentrer dans l'écurie Ricercar. J'ai bien entendu répondu oui sans attendre et il m'a tout simplement précisé que, dans le cadre de l'année Scarlatti, on avait cinq mois pour enregistrer le stabat mater !
Avec Jérôme Lejeune, on a trouvé quelqu'un qui nous a respecté dès le départ. Il faut se rappeler que le label existe depuis trente ans et que Jérôme Lejeune a collaboré avec les plus grands (Bernard Foccroulle, Philippe Herreweghe, Philippe Pierlot, Jean Tubery,..). Tout comme moi, il est passionné par la musique de la période à la jonction de la Renaissance et du Baroque.
A l'écoute de vos enregistrements, on est d'emblée marqué par la clarté mais aussi la souplesse de la ligne. Comment travaillez-vous pour créer cette identité sonore qui est déjà bien identifiable ?
L.M. : la ligne est en effet déterminante. Il y a certes la rhétorique, seulement quand on chante par exemple Schütz a cappella (quand je dis a cappella, cela veut aussi dire des chanteurs uniquement accompagnés par un continuo, orgue simple ou orgue et viole de gambe), il faut évidemment articuler le texte mais articuler ensemble, c'est beaucoup plus efficace que parfois de la prononciation trop accentuée où le texte perd alors son sens et cela devient une carricature. On se rend alors compte qu'il y a des lignes d'une beauté incroyable. Si on respecte bien cela, la musique prend tout son sens. C'est, par exemple très clair dans la première plage de notre disque Schütz (le "Herr, nun lässest..").
Mon travail a été alors axé sur le recrutement de chanteurs qui ont une très bonne expérience du répertoire de la Renaissance ou pré-Baroque (ou le potentiel pour devenir des « spécialistes » au sens noble du terme) car la justesse est déterminante ainsi que la recherche de timbres, de couleurs vocales qui s'assemblent naturellement pour que le groupe soit cohérent, homogène. Ensuite, nous travaillons, répétons sans cesse et ceci depuis le début, même quand nous n'avions pour ainsi dire aucun concert.
Notre ensemble existe depuis bientôt dix ans et nous sommes finalement restés "underground" pendant au moins quatre ans, mais avions énormément répété et travaillé aussi bien sur la justesse, la clarté de la ligne, les intonations que sur la signification du texte pour l'inclure dans cette « science » qu'est quelque part la rhétorique. Dans le groupe, nous avons des croyants pratiquants, non pratiquants et des athées. Pour ces derniers, je leur demande, le temps des interprétations, aussi bien pour les enregistrement que pour les concerts, de croire, d'être investis par le texte.
Un point important est alors que chacun s'investisse pleinement pour que l’on atteigne le niveau d'intensité recherché. Je suis très soucieux que chacun puisse s'exprimer et éventuellement apporter au groupe. On fonctionne alors, que ce soit à 4, 10 ou 14, comme un ensemble de chambre.
Je retrouve même dans votre style, si je peux me permettre, une certaine forme de lyrisme qui sert admirablement ces œuvres car il leur donne chaire
L.M. : le terme de lyrisme ne me choque pas. Je dis souvent que je trouve la musique romantique très proche de la musique de la Renaissance. Si on fait abstraction du vibrato, le point commun est indéniablement la longueur de la ligne. Dans les deux cas, les lignes sont longues. C'est comme un arc que l'on étire pour atteindre un point culminant.
Entre aussi en jeu le tempo. Vos phrases semblent plus allongées, si bien que clarté de la ligne ne veut absolument pas dire sécheresse mais bien souplesse, plasticité
L.M. : en effet, nous restons attachés à un bon tempo. Beaucoup d'ensembles actuels qui interprètent la musique ancienne et baroque mènent une sorte de course à la rapidité et particulièrement sur certains compositeurs bien précis. Ceci est certainement dû à notre rythme de vie. Il faut alors se mettre en condition, se projeter dans le contexte de l'époque où la perception du temps était complètement différente. Cette relative lenteur, conjuguée à une ligne claire, juste, permet d'atteindre une plénitude, un niveau de dépouillement au service de la densité de ces œuvres. C'est un pari qui peut d'ailleurs se révéler risqué dans le cadre d'un CD mais qui nous demande justement encore plus d'effort à chacune des prises que nous faisons. J'aime me dire qu'il existe encore beaucoup de gens en quête de cette spiritualité et de l'émotion que la musique peut nous apporter. Elle peut certes et heureusement nous divertir, mais elle ne doit pas être que cela.
Votre dernier enregistrement s'aventure dans les terres anglaises, après deux disques consacrés à la musique allemande. Qu'est-ce qui vous a conduit à ce programme autour de la musique funéraire royale ?
L.M. : nous discutons très souvent avec Jérôme Lejeune sur les programmes possibles pour nos enregistrements. Il nous semblait important de ne pas nous enfermer dans la musique allemande. Ce qui a déclenché notre projet sur le répertoire anglais est un travail que j'effectuais sur les funérailles de la Reine Marie de Purcell, morceau très connu et popularisé notamment par Orange Mécanique, le film de Stanley Kubrick. Dans mes recherches j’ai vite été amené vers l'ouvrage (avec la partition complète) écrit par le musicologue anglais Bruce Wood chez Novello (Purcell - Morley, Funeral Music for Queen Mary) où ce dernier démontre, avec des preuves indéniables, que ce sont les Funeral Sentences de Thomas Morley qui avaient été interprétées, et non la composition de Purcell, et que cela a continué pendant plusieurs générations (avant que Croft ne prenne le relais jusqu'à nos jours – cf. Lady Diana, etc...). Ce sont des pièces qui avaient visiblement déjà été composées pour les funérailles d'Elisabeth 1er en 1603. Une partie de ces pièces avait toutefois été perdue (le « Thou knowest Lord ») et c'est pour cela que l'on a demandé à Henry Purcell de recomposer une pièce qui pourrait s'approcher du style de Morley. On ne pourra de toute façon pas reconstituer l'intégralité de l'Office de Thomas Morley, comme il a été chanté en 1603.
Ensuite, nous nous sommes posés la question de savoir comment composer le disque autour de ce bloc cohérent de Thomas Morley. On avait deux choix : soit un thème, soit un compositeur. On avait déjà Thomas Tollett, James Paisible (deux contemporains de Purcell qui ont composé des pièces pour bande de hautbois dans le style français, en référence à la cour de France) en plus de Thomas Morley et Henry Purcell. On était donc de facto sur une thématique et non un compositeur. Autour des funérailles de la Reine Marie, on a inévitablement le chef d'œuvre de Purcell. Incontournable, cette pièce est aussi bien tournée vers le passé avec l'importance des lignes, que vers le futur avec un chromatisme, des dissonances qui annoncent le Baroque. C'était important dans l'esprit du disque de les insérer pour justement expliquer que ce ne sont pas elles qui étaient interprétées mais bien les pièces de Thomas Morley. Sur le reste des pièces, Jérôme Lejeune avait un vœu qui lui était cher : enregistrer l'Elégie sur la mort de la Reine Marie (O dive custos) de Henry Purcell, pièce magnifique que je ne connaissais pas bien mais que j’avais entendue via une demi-version lors de magnifiques concerts de Jean Tubery. Mais c'est surtout, Jérôme Lejeune m'a fait écouter la superbe version chantée par Emma Kirkby et Evelyn Tubb. Il y a aussi une version par Patricia Petibon avec le ténor Jean-François Novelli. Je constate alors qu'il n'y a pas énormément de versions. Je commande la partition : deux sopranos, un orgue, une basse. Une œuvre très dépouillée qui offre en plus un moment de grâce où par moment on peut confondre Zsuzsi et Sara avec des anges.
Il y a ensuite la musique de Thomas Tomkins qui est vraiment superbe. Seulement, j'étais toujours étonné par la hauteur de la tonalité. Les partitions modernes comportent des altérations (quatre bémols) et une note de départ qui est de mémoire une quarte plus haute qu’elle ne devrait être. J'ai donc retranscrit ces œuvres avec une tonalité plus basse, plus conforme, je pense, à l'esprit. Ce sont les Burial Sentences (Sermons de l'Enterrement) et cette tonalité plus grave donne justement cette sensation d'enterrement. C'est alors très beau car on ré-entend cette musique avec uniquement des voix masculines. On ne sait pas pour qui cette musique avait été écrite (Jérôme Lejeune aime à penser que cela pourrait être pour Charles 1er). On a décidé de la faire sans orgue comme clin d'œil à l'Histoire puisque ces « Sentences » ont été écrites à l'époque sombre de Thomas Cromwell où le gouvernement procédait à la dissolution des chapelles royales et à la destruction des orgues.
Et, pour compléter la composition de ce programme qui nous a pris beaucoup de temps, Jérôme Lejeune me propose de mettre deux pièces qui me feraient plaisir. Je lui a alors dit qu'il y avait indéniablement pour moi deux pièces de Henry Purcell : tout d'abord, Hear my prayer qui s'intègre parfaitement avec la tonalité de do mineur et ensuite Remember not, Lord, our offenses. Ce qui est extraordinaire dans ces deux pièces de respectivement deux et trois minutes, c’est que l'on n'a pas besoin de plus pour tout dire. Henry Purcell a le génie de composer des pièces courtes d’une densité extraordinaire. Je désirais en outre que la fin du motet Rember not, "Spare us, good Lord..." soit en conclusion du disque…
Comme il nous restait du temps pour le minutage du CD, j'ai trouvé une pièce de Thomas Weelkes écrite pour la mort de Thomas Morley (« Death hath deprived me »). Jérôme Lejeune a enfin conseillé d'intégrer « A Sad Pavan for these distracted Times » de Guy Penson.
Quels sont les prochains projets après ce disque ?
L.M. : notre prochain disque sera consacré aux motets de la famille Bach. Une partie des motets de la famille Bach (Johann, Johann Michael, Johann Christoph) est composée sur les mêmes textes que les Exequien de Heinrich Schütz (ex: cantique de Siméon). C'est comme cela que mon travail sur cette dynastie a commencé avec ces œuvres que nous avons présentées déjà de nombreuses fois en concert. Parmi les pièces que nous avons commencé à rassembler, il y a de vrais chefs d'œuvre. Ces pièces s'étalent presque sur un siècle, avec des styles très différents.
On prévoit également d'enregistrer le stabat mater d'Agostino Steffani, partition que j'avais étudiée lorsque je travaillais sur le stabat mater de Scarlatti. Sur celui de Steffani, au fur et à mesure que je découvrais les parties chantées et que je m'interrogeais sur les chanteurs que je pouvais envisager sur chacune des douze voix, les différents interprètes de l'ensemble venaient naturellement. Il y a beaucoup de petits solos, pas de grands airs, mais aussi des duos, trios, quatuors. Cette pièce est tout à fait adaptée à notre configuration. Enfin, comme nous fêterons certainement nos dix ans à l'occasion de ce disque, ce sera à nouveau un stabat mater !
Enfin, nous sommes également très tentés par le répertoire français avec Marc-Antoine Charpentier mais ce n'est vraiment pas pour tout de suite. Le Miserere de Charpentier est une pièce admirable. Il faudra toutefois rôder de nombreuses fois notre travail au concert avant d'envisager de l'enregistrer. Il est déjà possible de nous écouter sur youtube (vidéos partie 1 et partie 2 - captation du festival contrepoint 62 en 2011).
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Le site de Vox Luminis vous permet de prendre connaissance du calendrier de ses concerts. Les prochains concerts sont à La Haye, du 24 mai au 2 juin, dans le cadre des productions Opera2day (programme Monteverdi - Carissimi).
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Vidéo youtube : inteprétation du Remember not, Lord our Offenses de Henry Purcell.
Le disque English Royal Funeral Music est un coup de coeur du poisson rêveur (cf note du 13 mai 2013).
(1) : le disque Schütz a obtenu la distinction Gramophone Recording fo the Year par la revue britannique Gramophon en 2012.
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