Johannes Brahms est certainement le compositeur qui tend le plus de pièges aux nombreux interprètes qui tentent de s'imprégner de son oeuvre et de restituer toute sa richesse.
Sur le corpus des symphonies par exemple, les plus grands chefs ne sont pas toujours parvenus à restituer cette richesse sans tomber dans le piège d'une suavité, forme archétype du style romantique (ex : Carlo Maria Giulini dont la critique a pourtant vanté le fait que son intégrale soit la référence). Jusqu'au jour où vous écoutez, avec son grain de folie, son extraordinaire maîtrise rythmique, son exigence absolue de la transparence, de la netteté du contour des lignes, son sens indéniable de la tension, un Carlos Kleiber sublime, par exemple, la 4ème symphonie en mi mineur.
Dans le cas des compositions pour piano, notamment les sonates, force est de constater que, pour ma part, le choc n'a pas encore eu lieu. Il y a certes la noirceur extrême, la morbidité saisissante d'Arturo Benedetti Michelangeli sur les géniales balades opus 10. Il y a bien entendu le lyrisme, le panache, mais aussi l'inégalité, de Julius Katchen, encore considéré comme l'interprète de référence. J'avais évoqué l'intégrale tout à fait honnête mais tout de même peu imaginative et assez polissée de Peter Rösel, récemment rééditée. Même Claudio Arrau, dont l'intelligence du texte, de la construction des oeuvres était exceptionnelle, ne parvient pas à nous transporter, du fait, peut-être d'une distanciation trop marquée.
Il y a pourtant, d'une façon faussement inattendue, le sens indéniable du contrepoint et la maîtrise rythmique de Glenn Gould qui en font, au delà des idées reçues, un des meilleurs serviteurs au piano du compositeur allemand (cf. sa version des klavierstücke).
Tout dernièrement, le pianiste français, François-Frédéric Guy, loué de façon régulière par la critique, notamment pour sa maîtrise technique indéniable, son sens de l'architecture, s'est risqué à enregistrer une intégrale des sonates de Johannes Brahms, ce qui est tout à son honneur.
Cependant, il rejoint la cohorte des interprètes qui passent visiblement à côté du mystère brahmsien et ne semblent pas parvenir à le percer, ni, de toute évidence, à nous en imprégner.
Le pianiste semble avoir une telle obsession de la maîtrise technique, de la performance, que tout le propos donne l'impression d'être centré sur la fermeté du phrasé, une lecture assez analytique, la pureté de la ligne. Le résultat est un Brahms assez effrayant, avec des accords implacables, autoritaires et une sécheresse au détriment du lyrisme pourtant indispensable pour restituer ce mystère (ex : le scherzo de la sonate N°2 en fa dièse mineur ou l'allegro de la sonate N°1 en do majeur). Certes, les lignes sont claires, le souci de transparence est évident et la vélocité du jeu impressionnante. La structure de ces sonates nous est restituée de façon très nette mais je trouve que la magie est absente. J'ai recherché en vain le supplément d'âme.
Sur les mouvements lents, on attend sans espoir que l'alternance de la tendresse et de la noirceur, marques de fabrique de la forme brahmsienne soient révélée (ex: l'andante de la sonate N°2, approché de façon presque maniériste). La richesse, le foisonnement harmonique de ces pièces sont vidés de leur substance où l'exploration de l'univers du compositeur tient plus du domaine de la dissection que de l'introspection. Le cas symptomatique est la version du fameux andante de la sonate N°3 que nous propose François-Frédéric Guy où l'on est plongé en apnée, et l'on recherche en vain respiration, ampleur et un minimum de grain, d'épaisseur.
La qualité d'enregistrement assez sèche contribue en outre à accentuer cette impression de manque de densité.
Je reste toujours sceptique sur les louanges de la critique portée à l'égard de interprétations actuelles, plus axées sur la performance, la virtuosité au détriment du chant, de la respiration.
Johannes Brahms - sonates pour piano - Jean-Frédéric Guy - label Evidence (distribution Harmonia Mundi).
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