"Entre ombre et lumière" : c'est le titre choisi par Michel Brun et son label pour qualifier le dernier enregistrement de l'Ensemble Baroque de Toulouse qu'il dirige et consacré à Antonio Vivaldi. Le célèbre (et maintes fois enregistré) Stabat Mater y côtoie le concerto pour traverso RV 428 "Il Gerdellino", la Sinfonia au Saint-Sépulcre RV169, ainsi que cinq arias d'opéra (extraits d'Il Giustino RV 717, Farnace RV 711, Orlando Furioso RV 728).
L'option retenue est de faire interpréter la partie vocale par une mezzo soprano et non un contre ténor, contrairement à nombre d'enregistrements précédents (ex : la référence que constitue l'enregistrement réalisé par James Bowman avec The Academy of Ancient Music, sous la direction de Christopher Hogwood, ou la version de Carlos Mena, accompagné de Philippe Pierlot à la tête du Ricercar Consort, pour ne citer que deux enregistrements qui m'ont particulièrement marqué). Le débat peut toujours être vif entre les experts sur ce que l'on pourrait considérer comme l'option la plus "historiquement" valable. Les querelles associées n'ont finalement pas grand intérêt (ex : le procès d'intention d'associer l'interprétation par une mezzo ou une contralto à une vision post-moderne, sous prétexte qu'elle constitue une déviance par rapport au propos initial de l'oeuvre). Rinaldo Alessandrini, dont on connaît le souci d'être au plus près de la rhétorique insufflée par les compositeurs baroques, a bien fait appel à la magnifique et si singulière voix de Sara Mingardo.
Dans l'enregistrement qui nous concerne, en introduction, la version proposée du Stabat Mater nous dévoile, dès les toutes premières mesures, le parti pris : accentuation des contrastes, théâtralité, expressivité troublante et une certaine forme d'autorité. La mezzo soprano Caroline Champy-Tursun, au timbre magnifique, brise les lignes des interprétations que l'on a pu entendre jusqu'à présent et qui nous semblent soudainement apprêtées. Dans cette version, sous la direction artistique de Michel Brun, ce sont autant la colère que la douleur de la Pietà qui nous sont révélées. Caroline Champy-Tursun interprète, au sens littéral du terme, les tourments, la désolation de Marie. Mais, attention, ce n'est pas un lamento, auquel nombre d'interprétations précédentes pouvaient faire référence, mais bien une forme "opératique", dont les contrastes font inévitablement référence au clair-obscur (le Caravage avait, d'une certaine manière ouvert la voie à l'âge baroque, ... plus de 80 ans avant la naissance de Vivaldi).
Michel Brun imprime une rythmique très marquée, dès le stabat mater d'introduction. Cette accentuation surprenante contribue à créer une tension qui sert efficacement la mise en scène de la partie vocale. Les accords tranchés des violons sur le cujus animam en sont une illustration évidente.
Les pièces du maître vénitien sont indéniablement solaires. Elles évoquent d'apparence les éclats dorés du Baroque. Mais on peut tout autant remarquer les contrastes quelquefois saisissants qu'elles incarnent. C'est bien le cas du Stabat Mater (la colère mais aussi une douleur lancinante qu'exprime le cujus animam, une fausse libération, légèreté restituée par l'o quan tristis, qui ne porte pas tout à fait so nom ou le fac ut ardeat qui intervient comme une libération avant l'amen final).
Sur le concerto en ré majeur pour traverso "Il Gerdellino", le même principe du jeu des contrastes est retenu avec en outre des phrasés assez allongés et un traverso (pas toujours très juste d'ailleurs mais qu'importe, c'est quelque part le charme fantasque de la flûte baroque) qui, dès le premier mouvement, évoque naturellement le chant du chardonneret qui est le surnom français que l'on attribue à ce concerto (la traduction contemporaine en italien du chardonneret étant semble-t-il il cardellino). C'est de tout évidence une version dont la dynamique et la part belle donnée au chant du traverso est intéressante.
Sur les cinq airs d'opéras qui suivent, à nouveau interprétés par la mezzo soprano Caroline Champy-Tursun, l'Ensemble Baroque de Toulouse s'aventure sur des terres déjà maintes fois explorées par d'autres baroqueux. Le résultat est plus qu'honorable, cette fois encore grâce au parti pris de l'expressivité. On n'a pas la frénésie (parfois éreintante) des versions de Jean-Christophe Spinosi, ni l'équilibre formel que recherche Rinaldo Alessandrini.
L'option retenue est bien celle d'une certaine noirceur, d'une dramatisation qui nous éclaire différemment sur ces pièces.
Parmi ces arias on y retrouve le fameux air d'Anastasio vedro con mio diletto de l'opéra Il Giustino que Cecilia Bartoli, Philippe Jaroussky et, plus récemment, Jakub Józef Orliński ont déjà magnifié. Sans tomber dans le piège du maniérisme, Caroline Champy-Tursun, avec un léger vibrato, s'aventure sans dommages dans une plus grande expressivité. Le résultat de cet exercice périlleux est plutôt réussi.
On notera enfin, au milieu de la sélection des airs d'opéra, une interprétation de la Sinfonia au Saint-Sépulcre, mystérieuse et sombre.
La qualité d'enregistrement est plus que correcte, la voix très présente avec une belle projection.
Ce projet est particulièrement réussi pour son parti pris et sa cohérence. Il confirme que sur un répertoire tellement de fois exploré, une nouveau prisme peut nous être proposé.
Antonio Vivaldi - Entre ombre et lumière - Ensemble Baroque de Toulouse sous la direction de Michel Brun - Caroline Champy-Tursun, mezzo-soprano - visiblement auto-production.
Lien vers les plateformes pour l'écoute.
Ce post est dédié à Gaelane qui se reconnaîtra, et fait suite à nos beaux échanges sur cet enregistrement.
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